Slot Logic (Bigoût Records - Phantom Records - Dewaere ) // par Nicolas Gougnot
Seigneur, m’entends-Tu Seigneur ?
En ce jour de Pâques célébrant Ta résurrection, je subis le martyre et me rapproche de Toi, qui m’en suis éloignée en commettant le péché de concupiscence à cette fin de la période de Carême.
Réunis dans le domaine que ma belle-famille possède dans ce charmant petit village de Bourgogne, afin de célébrer Ton retour à la vie, message d’espoir, de pardon et de rémission de l’ensemble de nos péchés, nous nous promenions. Nos pas nous menèrent à proximité des préparatifs de la petite fête foraine qui a lieu tous les ans lors du week-end pascal. C’est là que je les ai vus. Tous ces hommes. A la buvette. Leurs muscles luisants de sueur saillaient sous leurs débardeurs pendant qu’ils installaient friteuses et pompes à bière, réfrigérateurs et barbecues. Leurs biceps se tendaient sous l’effort tandis qu’ils élevaient les barnums. Fiers et agités d’une camaraderie virile alors qu’ils se tenaient sur les plateaux des pickups transportant tables et bancs. Leurs visages mal rasés, bronzés par les travaux d’extérieur que ces gens pratiquent d’ordinaire, la cigarette prolétairement coincée à la commissure des lèvres, étaient tordus d’une complice hilarité. A ce spectacle, j’ai senti une intense chaleur dans le ventre. Cette tension humide que je ne connais que trop bien. J’ai peiné à continuer de marcher en compagnie de François-Xavier, mon bien aimé époux. Que Tu connais, Seigneur. Tous les dimanches, nous célébrons l’office en Ton honneur. Nous suivons Tes préceptes à la lettre, Seigneur, tels qu’ils sont gravés pour l’éternité en Ton Saint Livre. C’est d’ailleurs ainsi que nous nous sommes rencontrés. A la messe de rentrée des Guides et Scouts d’Europe. François-Xavier était beau, fier de porter le drapeau de son groupe, dont il était de loin le plus âgé. Le mentor. Sa coiffure propre et nette est ce qui séduisit Père et le convainquit de se rapprocher de la famille de mon futur époux, en dépit des années qui nous séparaient. Nous fûmes rapidement fiancés, puis mariés en Ta Sainte Maison, Seigneur, quand l’âge légal me le permit.
Et voici que quelques années plus tard, je convoite d’autres hommes que celui auquel je dois fidélité, alors qu’approche la période la plus sacrée pour une honnête chrétienne comme je pensais l’être. Me le pardonneras-Tu Seigneur ? Seule dans mon lit, les soirs qui ont suivi, ces hommes m’ont hantée. Je sentais sous mes doigts la moiteur de mon intimité tandis que m’accompagnaient des pensées qui m’éloignaient de Toi et de François-Xavier. Alors j’ai repensé au Père Vaire, mon directeur de conscience, qui m’avait guidée sur le difficile chemin de la vie. Auquel j’avais fait part de mes premiers émois adolescents et qui m’avait guérie du péché de luxure. A l’occasion d’une retraite, il m’avait liée sur un lit, puis m’avait punie partout avec son goupillon de chair, me pinçant et tordant les parties les plus intimes de mon vilain corps, avant de m’oindre le visage de son chrème en une apothéose expiatoire. Cet exorcisme pratiqué à intervalles réguliers m’avait, du moins le croyais-je, guérie de toute forme de concupiscence. Avec François-Xavier, nous évitons d’ailleurs les pratiques répugnantes inhérentes à la reproduction. Elles sont inutiles, il ne peut procréer. Son incomplétude physique ne le lui permet pas. C’est la voie spirituelle qui nous permettra d’atteindre le plérome, fin ultime de la vie maritale.
Mais voici, Seigneur, que sur la place de ce village, je ressentais de nouveau violemment le désir poisseux d’une étreinte virile. Des nuits de tourment, des journées entachées de culpabilité et de honte. Dans le miroir, au petit matin, je ne voyais plus la belle jeune femme brune, au ravissant visage encadré d’une soyeuse chevelure ondulée. J’y contemplais la face mesquine d’une Jézabel assoiffée de stupre, succube infiltré dans la famille de François-Xavier pour la salir. Dans ce village, loin de mes habituels confesseurs, j’étais seule. A qui pouvais-je m’adresser pour faire part de la géhenne morale dans laquelle mon âme se débattait de plus en plus faiblement ? Je ne pouvais décemment demander à François-Xavier de me conduire à Vézelay voir un prêtre. C’eût été me mettre en position de lui avouer mes turpitudes. C’est alors que j’eus l’idée d’aller voir l’homme habitant le vieux presbytère. Un individu résidant un très ancien lieu de foi, imprégné des valeurs divines que Tu répands sur la Terre, Seigneur, est nécessairement infusé des préceptes les plus chrétiens. Profitant d’un moment de solitude, la veille de la messe de Pâques, pour laquelle j’espérais tant être guérie de ma dépravation, j’enfilai une simple tunique de pénitente sur mon corps nu et me résignai à la confession. Je frappai à l’huis. L’homme m’ouvrit, quelque peu étonné. Il me laissa pénétrer dans son habitation. Son antre, devrais-je dire. Une salle sombre, enfumée, à l’atmosphère exhalant les âcres fragrances du feu de bois, du tabac et d’autres fumets à l’origine mystérieuse. La pièce de vie était pauvrement meublée à mes yeux, mais dans ces contrées rurales, pouvait passer pour confortable. Des rayonnages encombrés de livres et de disques couvraient les murs. Le désordre était indescriptible. Etais-je véritablement entrée dans un bâtiment baigné de Ton esprit, Seigneur, ou dans l’antre d’un rebouteux adorateur du Malin ? Je lui expliquai la situation dans laquelle je me trouvais et lui demandai de me punir, en commençant par me lier à un lit afin de me livrer au supplice. Gentiment, un peu emprunté, il me proposa de m’étendre sur un vieux lit bateau en acier tenant lieu de banquette. L’inconfort de la couche s’annonçait prometteur.
Tout ce que j’ai fait, tout ce que je fais, c’est pour Toi, Seigneur, et pour ne pas Te décevoir. Mais parfois, le doute m’étreint. Cet homme n’a manifestement pas l’expertise du Père Vaire en matière d’exorcisme et de punition. Ses nœuds sont maladroits. Ses gestes trop délicats. Il ne semble pas comprendre que seules la fermeté et la douleur permettent l’absolution. Et surtout, jamais il ne sort ni ne brandit son aspersoir. Ne se livrera-t-il jamais à l’aspergès ? Au lieu de cela, et sans me regarder, il ouvre négligemment une bouteille de bière avec son briquet, allume une cigarette affreusement mal roulée, réfléchit quelques instants avant de se diriger vers la chaîne hi-fi qui se tient dans un coin du salon. Je l’observe anxieusement. J’en oublierais presque ma vilenie. Je me sens déjà presque guérie. Il se saisit d’un disque en déclarant à mon intention, d’une voix joyeusement pâteuse : « Je pense que ceci devrait bien vous punir !». Puis il m’explique que les musiciens vivent à Saint-Brieuc, qu’ils sont par conséquent des Bretons, population à l’expertise atavique en matière de christianisme et de rites d’expiation.
Et dorénavant, Seigneur, liée sur cette paillasse infâme, dans cette bâtisse dont tout le charme s’est évanoui, ne laissant désormais transparaître que l’obscurité sordide, je Te supplie de mettre fin à mon supplice. Cette marée de tumultes insoutenables, ces chants lascifs ondulent à mes oreilles comme le Serpent s’approchait de notre Mère à tous, Eve, afin de lui susurrer à l’oreille les saletés qui la perdirent. Puis éclatent les aboiements de tous les mâtins de Lucifer. Les coups de fouet des guitares me lacèrent l’âme comme Ton corps, Seigneur Jésus-Christ, fut tailladé par la flagellation lors de Ton chemin vers la Croix qui allait être ton supplice. Mon corps se cambre pour se libérer des coups de butoir des déchaînements de batterie accompagnant les grésillements agressifs d’une insoutenable guitare. Chaque pièce est une montée vers le Golgotha. Stridences licencieuses. Vociférations obscènes. Ondulations crasseuses de violence brute appuyées sur une basse tectonique. Déferlantes de colère pure. Chacune semblant plus virulente, insidieuse, méchante que la précédente. Comme la corruption que je sens s’échapper de mon corps maudit. M’éloigné-je de Ton Royaume, Seigneur, en cherchant à le rejoindre ? Ne sont-ce pas des cloches que j’entends ? Et si ce disque était une Apocalypse annonçant une Parousie imminente ? Oui, je le sens, Tu T’adresses à moi par ces voies impénétrables qui Te sont propres. Tout ce bruit, c’est le son du pardon, de Ton Pardon, Seigneur Jésus Christ, comme tu as pardonné à Marie la Magdalénienne, pécheresse devenue première de tes fidèles entre les fidèles qui te reconnurent comme le Sauveur. Tu me bénis, Seigneur, tu me bénis, je le sens, cela monte en moi comme une vague irrépressible…
En ce jour de Pâques célébrant Ta résurrection, je subis le martyre et me rapproche de Toi, qui m’en suis éloignée en commettant le péché de concupiscence à cette fin de la période de Carême.
Réunis dans le domaine que ma belle-famille possède dans ce charmant petit village de Bourgogne, afin de célébrer Ton retour à la vie, message d’espoir, de pardon et de rémission de l’ensemble de nos péchés, nous nous promenions. Nos pas nous menèrent à proximité des préparatifs de la petite fête foraine qui a lieu tous les ans lors du week-end pascal. C’est là que je les ai vus. Tous ces hommes. A la buvette. Leurs muscles luisants de sueur saillaient sous leurs débardeurs pendant qu’ils installaient friteuses et pompes à bière, réfrigérateurs et barbecues. Leurs biceps se tendaient sous l’effort tandis qu’ils élevaient les barnums. Fiers et agités d’une camaraderie virile alors qu’ils se tenaient sur les plateaux des pickups transportant tables et bancs. Leurs visages mal rasés, bronzés par les travaux d’extérieur que ces gens pratiquent d’ordinaire, la cigarette prolétairement coincée à la commissure des lèvres, étaient tordus d’une complice hilarité. A ce spectacle, j’ai senti une intense chaleur dans le ventre. Cette tension humide que je ne connais que trop bien. J’ai peiné à continuer de marcher en compagnie de François-Xavier, mon bien aimé époux. Que Tu connais, Seigneur. Tous les dimanches, nous célébrons l’office en Ton honneur. Nous suivons Tes préceptes à la lettre, Seigneur, tels qu’ils sont gravés pour l’éternité en Ton Saint Livre. C’est d’ailleurs ainsi que nous nous sommes rencontrés. A la messe de rentrée des Guides et Scouts d’Europe. François-Xavier était beau, fier de porter le drapeau de son groupe, dont il était de loin le plus âgé. Le mentor. Sa coiffure propre et nette est ce qui séduisit Père et le convainquit de se rapprocher de la famille de mon futur époux, en dépit des années qui nous séparaient. Nous fûmes rapidement fiancés, puis mariés en Ta Sainte Maison, Seigneur, quand l’âge légal me le permit.
Et voici que quelques années plus tard, je convoite d’autres hommes que celui auquel je dois fidélité, alors qu’approche la période la plus sacrée pour une honnête chrétienne comme je pensais l’être. Me le pardonneras-Tu Seigneur ? Seule dans mon lit, les soirs qui ont suivi, ces hommes m’ont hantée. Je sentais sous mes doigts la moiteur de mon intimité tandis que m’accompagnaient des pensées qui m’éloignaient de Toi et de François-Xavier. Alors j’ai repensé au Père Vaire, mon directeur de conscience, qui m’avait guidée sur le difficile chemin de la vie. Auquel j’avais fait part de mes premiers émois adolescents et qui m’avait guérie du péché de luxure. A l’occasion d’une retraite, il m’avait liée sur un lit, puis m’avait punie partout avec son goupillon de chair, me pinçant et tordant les parties les plus intimes de mon vilain corps, avant de m’oindre le visage de son chrème en une apothéose expiatoire. Cet exorcisme pratiqué à intervalles réguliers m’avait, du moins le croyais-je, guérie de toute forme de concupiscence. Avec François-Xavier, nous évitons d’ailleurs les pratiques répugnantes inhérentes à la reproduction. Elles sont inutiles, il ne peut procréer. Son incomplétude physique ne le lui permet pas. C’est la voie spirituelle qui nous permettra d’atteindre le plérome, fin ultime de la vie maritale.
Mais voici, Seigneur, que sur la place de ce village, je ressentais de nouveau violemment le désir poisseux d’une étreinte virile. Des nuits de tourment, des journées entachées de culpabilité et de honte. Dans le miroir, au petit matin, je ne voyais plus la belle jeune femme brune, au ravissant visage encadré d’une soyeuse chevelure ondulée. J’y contemplais la face mesquine d’une Jézabel assoiffée de stupre, succube infiltré dans la famille de François-Xavier pour la salir. Dans ce village, loin de mes habituels confesseurs, j’étais seule. A qui pouvais-je m’adresser pour faire part de la géhenne morale dans laquelle mon âme se débattait de plus en plus faiblement ? Je ne pouvais décemment demander à François-Xavier de me conduire à Vézelay voir un prêtre. C’eût été me mettre en position de lui avouer mes turpitudes. C’est alors que j’eus l’idée d’aller voir l’homme habitant le vieux presbytère. Un individu résidant un très ancien lieu de foi, imprégné des valeurs divines que Tu répands sur la Terre, Seigneur, est nécessairement infusé des préceptes les plus chrétiens. Profitant d’un moment de solitude, la veille de la messe de Pâques, pour laquelle j’espérais tant être guérie de ma dépravation, j’enfilai une simple tunique de pénitente sur mon corps nu et me résignai à la confession. Je frappai à l’huis. L’homme m’ouvrit, quelque peu étonné. Il me laissa pénétrer dans son habitation. Son antre, devrais-je dire. Une salle sombre, enfumée, à l’atmosphère exhalant les âcres fragrances du feu de bois, du tabac et d’autres fumets à l’origine mystérieuse. La pièce de vie était pauvrement meublée à mes yeux, mais dans ces contrées rurales, pouvait passer pour confortable. Des rayonnages encombrés de livres et de disques couvraient les murs. Le désordre était indescriptible. Etais-je véritablement entrée dans un bâtiment baigné de Ton esprit, Seigneur, ou dans l’antre d’un rebouteux adorateur du Malin ? Je lui expliquai la situation dans laquelle je me trouvais et lui demandai de me punir, en commençant par me lier à un lit afin de me livrer au supplice. Gentiment, un peu emprunté, il me proposa de m’étendre sur un vieux lit bateau en acier tenant lieu de banquette. L’inconfort de la couche s’annonçait prometteur.
Tout ce que j’ai fait, tout ce que je fais, c’est pour Toi, Seigneur, et pour ne pas Te décevoir. Mais parfois, le doute m’étreint. Cet homme n’a manifestement pas l’expertise du Père Vaire en matière d’exorcisme et de punition. Ses nœuds sont maladroits. Ses gestes trop délicats. Il ne semble pas comprendre que seules la fermeté et la douleur permettent l’absolution. Et surtout, jamais il ne sort ni ne brandit son aspersoir. Ne se livrera-t-il jamais à l’aspergès ? Au lieu de cela, et sans me regarder, il ouvre négligemment une bouteille de bière avec son briquet, allume une cigarette affreusement mal roulée, réfléchit quelques instants avant de se diriger vers la chaîne hi-fi qui se tient dans un coin du salon. Je l’observe anxieusement. J’en oublierais presque ma vilenie. Je me sens déjà presque guérie. Il se saisit d’un disque en déclarant à mon intention, d’une voix joyeusement pâteuse : « Je pense que ceci devrait bien vous punir !». Puis il m’explique que les musiciens vivent à Saint-Brieuc, qu’ils sont par conséquent des Bretons, population à l’expertise atavique en matière de christianisme et de rites d’expiation.
Et dorénavant, Seigneur, liée sur cette paillasse infâme, dans cette bâtisse dont tout le charme s’est évanoui, ne laissant désormais transparaître que l’obscurité sordide, je Te supplie de mettre fin à mon supplice. Cette marée de tumultes insoutenables, ces chants lascifs ondulent à mes oreilles comme le Serpent s’approchait de notre Mère à tous, Eve, afin de lui susurrer à l’oreille les saletés qui la perdirent. Puis éclatent les aboiements de tous les mâtins de Lucifer. Les coups de fouet des guitares me lacèrent l’âme comme Ton corps, Seigneur Jésus-Christ, fut tailladé par la flagellation lors de Ton chemin vers la Croix qui allait être ton supplice. Mon corps se cambre pour se libérer des coups de butoir des déchaînements de batterie accompagnant les grésillements agressifs d’une insoutenable guitare. Chaque pièce est une montée vers le Golgotha. Stridences licencieuses. Vociférations obscènes. Ondulations crasseuses de violence brute appuyées sur une basse tectonique. Déferlantes de colère pure. Chacune semblant plus virulente, insidieuse, méchante que la précédente. Comme la corruption que je sens s’échapper de mon corps maudit. M’éloigné-je de Ton Royaume, Seigneur, en cherchant à le rejoindre ? Ne sont-ce pas des cloches que j’entends ? Et si ce disque était une Apocalypse annonçant une Parousie imminente ? Oui, je le sens, Tu T’adresses à moi par ces voies impénétrables qui Te sont propres. Tout ce bruit, c’est le son du pardon, de Ton Pardon, Seigneur Jésus Christ, comme tu as pardonné à Marie la Magdalénienne, pécheresse devenue première de tes fidèles entre les fidèles qui te reconnurent comme le Sauveur. Tu me bénis, Seigneur, tu me bénis, je le sens, cela monte en moi comme une vague irrépressible…