Habibi

Habibi (Burger Records) // Par N.Gougnot
« Les mains des femmes sont-elles bien faites pour le pugilat de l'arène publique ? Plus que pour manier le bulletin de vote, les mains de femmes sont faites pour être baisées, baisées dévotement quand ce sont celles des mères, amoureusement quand ce sont celles des femmes et des fiancées : ... Séduire et être mère, c'est pour cela qu'est faite la femme». (Alexandre Bérard,  séance du Sénat du 3 octobre 1919). 
Ça envoie, hein ? « Mais qu’y sont cons », ne peut-on s’empêcher de penser. Oh, certes, c’était il y  a près d’un siècle, mais il y a moins de 20 ans, un guitariste avec lequel j’ai eu l’honneur de jouer et qui ne perdait pas une occasion de passer pour un blaireau néanderthalien, aimait à clamer haut et fort que, je le cite, « les gonzesses dans le rock’n’roll, ça fout le bordel ». Vous commencez à voir le rapport ? Car si Habibi est un groupe new-yorkais, il est aussi féminin. C’est même en partie ainsi qu’il est promu par le label Burger Records : « KILLER KRAUTY GIRL-GROUP POST-PUNK POP ». 
Et je me pose de sacrées questions, figurez-vous…
Parce que dans un premier jet, j’avais écrit une chronique assez sympa, mais sans génie ni sans frotter (les femmes et la lessive ! c’est si spirituel !). Bref, j’ai envoyé mon texte à mon éditeur de la Casbah, et puis mon inconscient a commencé à renâcler, à me titiller, puis à me faire franchement comprendre que, au même titre que le racisme ordinaire, la misogynie ordinaire faisait des ravages. Une phrase, notamment, me torturait, telle je la retranscris pour vous : « ça fait drôlement du bien d’ouïr de fraîches et douces voix féminines qui ne sombrent pas dans l’hystérie janisjoplino-courtneylovienne ou dans la mièvrerie sucrée».  Oui, j’ai écrit ceci, et en toute bonne foi.
Que voulais-je exprimer ? Que ces dames avaient trouvé la voie du juste compromis, avec ce qu’il faut de douceur dynamique, de langueur tonique, de vivacité tranquille, sans en faire des tonnes ni jouer à la bonasse langoureuse en lingerie. Que ce sont des filles normales, en somme, celles que nous fréquentons et avec lesquelles nous vivons. Et qu’ai-je exprimé ? Que les filles, dans le rock’n’roll au sens très large, sont soit des toxicomanes hystériques, soit de mièvres Dalila (celle de la Bible, pas la brâmeuse de Bambibo), langoureuses et en lingerie. Et ça m’a bien fait chier. Il est très difficile de vivre la confrontation avec sa propre médiocrité, c’est moi qui vous le dis. Si le racisme ordinaire ne consiste pas en des formes extrêmes mais en des considérations toutes faites (arabe = musulman, peau foncée = pas français), il en va de même avec le sexisme ordinaire: on n’a pas l’impression de véhiculer des clichés, parce qu’on fait la vaisselle à la maison et que donc on est persuadé de militer pour la cause féministe, mais pourtant on identifie un groupe de rock au sexe de ses éléments. Je présente donc mes excuses sincères aux intéressées, quelles qu’elles soient, même si elles ignorent tout de l’outrage. On va maintenant pouvoir parler musique. 
Nous connaissions déjà Habibi grâce, une nouvelle fois, au très bon travail du label Born Bad, qui nous avait proposé, en février 2012, un 45 tours de ce groupe. Cette année, c’est Burger Records qui rafle la mise en nous proposant le LP, sur lequel on retrouve les trois titres du 45 t, manifestement réenregistrés, en compagnie de huit inédits. Bon, j’ai un  sacré temps de retard, puisque le disque est sorti en janvier. Tout vient à point à qui sait attendre et tout ça…
Burger présente le groupe comme étant du « KILLER KRAUTY GIRL-GROUP POST-PUNK POP », vous le savez désormais. Pour ma part, je n’en sais trop rien. « Krauty », ce doit être pour signifier que la rythmique tient la route comme un combi VW, non au sens pneumatique du terme, mais dans la mesure où ce type de véhicule démarre au quart de tour et vous emmène où vous voulez à une allure  bien peinarde. En tout cas, c’est l’idée que je m’en fais. La krauty-drum et la  basse, c’est très important chez Habibi. Ça m’a tout de suite beaucoup fait penser aux Slits, non par l’aspect élastico-caoutchouteux de la basse, mais par son côté atypique, à la fois sec et doux, rond et vif.
Pour ce qui concerne les compositions, c’est effectivement de la pop, mâtinée de cette urgence punk ou post-punk, qui fait que le rapprochement avec The Slits se fait naturellement dans mon esprit, quoi qu’il arrive, Habibi m’apparaissant comme un groupe de Riot Grrrls apaisées. Le chant n’a rien à voir avec la rugosité de la voix d’Ari Up, de même que les paroles n’ont, me semble-t-il, pas l’ampleur de l’engagement féministe des Anglaises ou le même joyeux bordel ne baigne pas les compositions. C’est confus, tout ça… Et si c’était mon 1% génétique néanderthalien qui insiste, quoi que je dise, pour me faire ranger les groupes de filles avec les groupes de filles ?