The Pale Emperor (Cooking Vinyl) // par Anton Schaefer
Si Marilyn Manson pouvait représenter quelque chose de vraiment subversif durant les années 90, ce n'est plus cas aujourd'hui. L’Antichrist Superstar a laissé la place à un rocker fatigué, bedonnant, englué dans ses problèmes de couple. Incapable de soutenir le poids de ses classiques, il a sorti ces dernières années trois albums excessivement décevants (« Eat Me Drink Me », « The High End Of Low », et « Born Villain »). Lui qui autrefois se faisait appeler The God Of Fuck, lui qui était ce personnage flamboyant, glam et dangereux dans son album « Mechanical Animals », pouilleux et destructeur dans « Antichrist Superstar », il est aujourd'hui cet empereur pale, exténué dans son palais froid et sombre, déçu par l'amour et ne sachant plus trop où il en est. Déjà en 2007, à la sortie de son disque « Eat Me Drink Me », Marilyn Manson avait alors expliqué que sa séparation avec sa femme de l'époque, Dita Von Teese, était due au fait qu'il ne se reconnaissait plus lui-même. L'homme qu'il était alors devenu (plus proche du milieu de la mode que des studios d'enregistrement) était la cause d'un trouble identitaire fort : devait-il alors renier son passé, ses excès, son génie ? Ce doute sur lui-même lui a sans doute ôté toute confiance par la suite. On se retrouve ainsi confronter à un artiste ne sachant plus ce qu'il veut faire, ce qu'il doit faire. Le syndrome de la page blanche en somme, mais rapidement recouverte de sang. Alors, qui doit-il être ? Perpétuer son image de « shock rocker » au risque de continuer à s'auto-parodier quitte à friser le ridicule ? Ou bien admettre qu'il n'est plus le même qu'en 1996 (période « Antichrist Superstar ») et accepter qu'il n'a plus la même voix, plus le même corps, plus les mêmes envies.
Et cette angoisse, est-ce que les fans le suivront ? La plupart l'ont fuit, certains l'ont renié, d'autres (plus jeunes) sont arrivés. Il n'y a rien de pire pour un artiste que de réfléchir à comment son œuvre va être accueillie par ses fans : pour ne pas les décevoir, surtout leur donner ce qu'ils veulent. Et les fans voudront toujours un deuxième « Antichrist Superstar », un deuxième « Mechanical Animals »... Ce qu'il est incapable de leur donner aujourd'hui. Se focaliser sur ce que les fans veulent, c'est prendre le risque de ne plus les surprendre, de ronronner, de faire éternellement la même chose, et c'est aussi le meilleur moyen de le faire moins bien. C'est comme dans un couple, si il n'y a plus de surprises, c'est le début de la fin. Dans le cas de Manson, cela donne un album comme « The High End Of Low », sans aucun parti pris, avec de tout pour tout le monde. Et surtout beaucoup d'ennui. Cet album là sonne comme une synthèse de toutes les périodes de sa carrière. Ce non-choix de sa part est assez révélateur à ce moment là : il n'a plus le feu sacré, cette direction musicale parfaitement tenue qui faisait la force de ses précédents projets n'est plus là. L'album qui suivra, « Born Villain », laisse transparaître quelques sursauts bienvenues, mais donne un résultat global en demi-teinte.
Alors se pose une question. Et si l'ennemi juré (frère d'armes auparavant), Trent Reznor de Nine Inch Nails, parvenait à avoir raison : Manson ne serait-il pas devenu qu'un clown junkie ? Il était l'ennemi de l’Amérique blanche et puritaine de Bush : lui qui avait le don de s'attirer les foudres des religieux (concerts interdits, manifestations d'évangélistes hystériques) n'est plus capable d'aligner trois bonnes chansons dans un album... Il fallait ainsi repartir de zéro : pour ce nouvel album « The Pale Emperor », exit Twiggy Ramirez (le bassiste légendaire du groupe), place à Tyler Bates, compositeur et producteur de musiques de films (« Sucker Punch », « Les Gardiens de la Galaxie », etc.). Ce dernier est parvenu à insuffler de la vie dans la musique de Manson, lui a imposé de la rigueur dans le processus de composition de cet album. Il l'a amené à entrevoir l'accomplissement de ce disque comme un défi, et non plus comme un simple contrat à honorer : il s'agissait ici de redonner à Manson un véritable pouvoir d'action sur sa discographie. Ce dernier reconnaît lui-même lors d'une interview pour Rolling Stones que sa carrière est partie en vrille après l'affaire de Columbine. Mais pour la composition de « The Pale Emperor », il explique s'être mis au sport et avoir également arrêter l'absinthe : tout faire pour éviter la déchéance physique, mentale et musicale.
Avec « The Pale Emperor », c'est comme si Manson, se rendant compte des erreurs commises sur les trois précédents albums, décidait de tout reprendre à zéro et de livrer (enfin) un digne successeur à « The Golden Age Of Grotesque », le dernier disque décent de sa discographie. A l'écoute de cet album, Manson livre un blues sincère, délesté de la superficialité qui caractérisait ces précédents disques. Le fait que Tyler Bates prenne en charge totalement la composition de l'album permet à Marilyn Manson de bénéficier d'une fraîcheur salvatrice : on perçoit sur « The Pale Emperor » un véritable effort sur l'atmosphère, sur l’ambiance des morceaux. On retrouve alors des accents de Holywood sur Killing Strangers, titre d'ouverture de l'album assez efficace et qui a le mérite de donner une bonne représentation de l'identité sonore de l’œuvre. Si Manson n'a plus la même énergie que par le passé, il faut tout de même lui reconnaître quelques beaux restes, notamment sur le single Deep Six, titre d'une énergie folle et efficace. Autre grand apport de Tyler Bates : un très grand travail sur les mélodies. Ainsi, l'album comporte trois titres absolument géniaux : The Mephistopheles Of Los Angeles, Third Day Of A Seven Day Binge et Cupid Carries A Gun, qui bénéficient tous les trois d'une belle profondeur et d'une efficacité mélodique certaine. L'album se clôt sur le titre Odds Of Even, dont la fin, tragique à souhait, représente un des moments les plus bouleversants de toute la discographie de Manson. On ne peut alors que déplorer le fait que l'album soit beaucoup trop court (il est composé de seulement 10 morceaux) tant l'alchimie entre Marilyn Manson et Tyler Bates fonctionne à merveille. Seul mauvais morceau : Birds Of Hell Awaiting; accessoirement le premier titre enregistré pour l'album, on dira que ce ne fut qu'un faux départ.
D'un point de vue psychologique, le symbole de l’Empereur invite à prendre possession de soi-même, à tout ordonner dans le sens de la volonté de puissance. Il est la quatrième arcane du Tarot, et est représenté avec un sceptre dans une de ses mains, l'autre étant refermée sur sa ceinture : il affirme alors son autorité, et se montre prêt à la défendre. Il est le Démiurge, celui qui construit l'homme, aussi bien que le monde. En interview, Manson dit vouloir payer sa dette avec le diable par cet album. Au-delà de Lucifer, il paye surtout sa dette envers lui-même : Manson semble avoir accepté sa situation, son âge, ses limites. Bien plus qu'un clown junkie, il est aujourd'hui un vieux, pas si sage que ça, mais en pleine possession de lui-même. Et c'est bien mieux comme cela.Et cette angoisse, est-ce que les fans le suivront ? La plupart l'ont fuit, certains l'ont renié, d'autres (plus jeunes) sont arrivés. Il n'y a rien de pire pour un artiste que de réfléchir à comment son œuvre va être accueillie par ses fans : pour ne pas les décevoir, surtout leur donner ce qu'ils veulent. Et les fans voudront toujours un deuxième « Antichrist Superstar », un deuxième « Mechanical Animals »... Ce qu'il est incapable de leur donner aujourd'hui. Se focaliser sur ce que les fans veulent, c'est prendre le risque de ne plus les surprendre, de ronronner, de faire éternellement la même chose, et c'est aussi le meilleur moyen de le faire moins bien. C'est comme dans un couple, si il n'y a plus de surprises, c'est le début de la fin. Dans le cas de Manson, cela donne un album comme « The High End Of Low », sans aucun parti pris, avec de tout pour tout le monde. Et surtout beaucoup d'ennui. Cet album là sonne comme une synthèse de toutes les périodes de sa carrière. Ce non-choix de sa part est assez révélateur à ce moment là : il n'a plus le feu sacré, cette direction musicale parfaitement tenue qui faisait la force de ses précédents projets n'est plus là. L'album qui suivra, « Born Villain », laisse transparaître quelques sursauts bienvenues, mais donne un résultat global en demi-teinte.
Alors se pose une question. Et si l'ennemi juré (frère d'armes auparavant), Trent Reznor de Nine Inch Nails, parvenait à avoir raison : Manson ne serait-il pas devenu qu'un clown junkie ? Il était l'ennemi de l’Amérique blanche et puritaine de Bush : lui qui avait le don de s'attirer les foudres des religieux (concerts interdits, manifestations d'évangélistes hystériques) n'est plus capable d'aligner trois bonnes chansons dans un album... Il fallait ainsi repartir de zéro : pour ce nouvel album « The Pale Emperor », exit Twiggy Ramirez (le bassiste légendaire du groupe), place à Tyler Bates, compositeur et producteur de musiques de films (« Sucker Punch », « Les Gardiens de la Galaxie », etc.). Ce dernier est parvenu à insuffler de la vie dans la musique de Manson, lui a imposé de la rigueur dans le processus de composition de cet album. Il l'a amené à entrevoir l'accomplissement de ce disque comme un défi, et non plus comme un simple contrat à honorer : il s'agissait ici de redonner à Manson un véritable pouvoir d'action sur sa discographie. Ce dernier reconnaît lui-même lors d'une interview pour Rolling Stones que sa carrière est partie en vrille après l'affaire de Columbine. Mais pour la composition de « The Pale Emperor », il explique s'être mis au sport et avoir également arrêter l'absinthe : tout faire pour éviter la déchéance physique, mentale et musicale.
Avec « The Pale Emperor », c'est comme si Manson, se rendant compte des erreurs commises sur les trois précédents albums, décidait de tout reprendre à zéro et de livrer (enfin) un digne successeur à « The Golden Age Of Grotesque », le dernier disque décent de sa discographie. A l'écoute de cet album, Manson livre un blues sincère, délesté de la superficialité qui caractérisait ces précédents disques. Le fait que Tyler Bates prenne en charge totalement la composition de l'album permet à Marilyn Manson de bénéficier d'une fraîcheur salvatrice : on perçoit sur « The Pale Emperor » un véritable effort sur l'atmosphère, sur l’ambiance des morceaux. On retrouve alors des accents de Holywood sur Killing Strangers, titre d'ouverture de l'album assez efficace et qui a le mérite de donner une bonne représentation de l'identité sonore de l’œuvre. Si Manson n'a plus la même énergie que par le passé, il faut tout de même lui reconnaître quelques beaux restes, notamment sur le single Deep Six, titre d'une énergie folle et efficace. Autre grand apport de Tyler Bates : un très grand travail sur les mélodies. Ainsi, l'album comporte trois titres absolument géniaux : The Mephistopheles Of Los Angeles, Third Day Of A Seven Day Binge et Cupid Carries A Gun, qui bénéficient tous les trois d'une belle profondeur et d'une efficacité mélodique certaine. L'album se clôt sur le titre Odds Of Even, dont la fin, tragique à souhait, représente un des moments les plus bouleversants de toute la discographie de Manson. On ne peut alors que déplorer le fait que l'album soit beaucoup trop court (il est composé de seulement 10 morceaux) tant l'alchimie entre Marilyn Manson et Tyler Bates fonctionne à merveille. Seul mauvais morceau : Birds Of Hell Awaiting; accessoirement le premier titre enregistré pour l'album, on dira que ce ne fut qu'un faux départ.