Fruit de la Passion (Le Turc Mecanique) // Par Anton Schaefer
Le flot continu de sorties musicales alimenté aujourd'hui en grande partie par internet a de quoi laisser perplexe : lorsque l'on voit sur certains sites (comme celui de Pitchfork) un Top 100 de 2014, je me pose la question de l'intérêt d'une telle liste. Est ce qu'on a vraiment le temps d'écouter autant de disques, et surtout, est ce que ça a vaut vraiment la peine ? Par exemple, sur cent sorties, combien allons nous en garder à la fin de l'année ? Dix, vingt, rarement plus, et surtout peut-être que nous en avons pas besoin d'autant. L'éternel dualisme entre qualité et quantité : parfois, j'en viens à me dire qu'il vaut mieux deux bonnes chansons que vingt albums d'un ennui abyssal. Comment alors distinguer un bon disque d'un album qui va certainement nous faire perdre notre temps ? Un grand disque est celui qui nous ramène à une certaine réalité, qui se raccroche à un vécu, que l'on identifie à des sentiments, des souvenirs bien précis.
Le premier album de Strasbourg illustre bien cette idée. Ma première expérience avec le groupe bordelais s'est faite en 2012, par le biais de leur EP « Kill » sur lequel on pouvait retrouver cet hymne, « La Chanson Française ». Composé de quatre membres (Raph Sabbath, LLCoolJo, Tamara Goukassova et Mickaël Appollinaire), Strasbourg livrait alors une musique mélangeant coldwave, indus et zouk. Rien que ça. 2014, le groupe sort le EP « Sexe & Violence » (également chroniqué sur le site), et c'est soudain la stupeur, l'angoisse la plus totale. Exit les rythmiques zouks, place à un son plus bruitiste, plus gris, plus claustro. La défiance qui émane de ces chansons se fait désormais plus frontale, plus assumée peut-être. Sorti ce mois-ci sur le très bon label Le Turc Mecanique, « Fruit De La Passion » est un premier album radical, étouffant, hypnotique, dans la droite lignée de « Sexe & Violence ». Le disque regorge ainsi de titres fabuleux, « Jesus », « Sangria » ou encore « Galope ». Les ambiances sont variées, et on découvre la capacité du groupe à tenir la route sur des rythmiques plus lentes, comme sur les morceaux « Jessica » et « Fruit de la Passion », à la noirceur oppressante. Le meilleur titre de ce disque constitue également un des morceaux les plus tétanisants sortis en 2015, toutes catégories confondues : « Vague à l'âme ». En début de chronique, j'avançais le fait qu'un bon disque est celui que l'on va pouvoir rattacher à des sensations, des émotions, un vécu bien précis. J'ai ainsi pu l'expérimenter avec ce titre là.
Un soir d'orages, alors que j'arpente les routes des abords de Toulouse en voiture, j'observe le ciel noir lézardé d'éclairs. Je lance l'album de Strasbourg, les premières notes de « Vague à l’Âme » résonnent dans le véhicule : les grondements du tonnerre, le craquement violent de la foudre qui tombe, la pluie battante, le rythme effréné de cette chanson, une mélodie menaçante, un chant possédé... Pendant l'espace d'un peu plus de quatre minutes, la nature, dans tout ce qu'elle de plus fort et de sublime, se confond avec la musique pour créer une expérience émotionnelle subjective qui me liera sans aucun doute de manière durable avec ce morceau. « Vague à l'âme » fait partie de ces chansons que j'arrive à raccrocher au réel, ici un orage pluvieux dans la nuit. Et c'est peut-être ce qui définit le mieux cet album.
C'est pour des chansons comme celle là que j'aime toujours autant prendre le temps de découvrir des albums, en espérant y trouver une résonance toute particulière. Malgré un monde toujours plus nihiliste, le plaisir que nous pouvons prendre avec la musique reste un des grands bonheurs qui nous est encore accordé. Le spectacle du monde est ce qu'il est : nous sommes au beau milieu d'un champ de ruines encore fumantes, il s'agit alors pour nous de rester droits. Si effectivement notre société montre des signes de mauvaise santé, alors préparons nous au pire dignement, sur le pont, une bouteille de vin à la main, et l'album de Strasbourg sur le tourne disque. Le tout en prônant le fait tragique que l'idéal humain se trouve peut-être dans la ligature des trompes et la vasectomie.
Le premier album de Strasbourg illustre bien cette idée. Ma première expérience avec le groupe bordelais s'est faite en 2012, par le biais de leur EP « Kill » sur lequel on pouvait retrouver cet hymne, « La Chanson Française ». Composé de quatre membres (Raph Sabbath, LLCoolJo, Tamara Goukassova et Mickaël Appollinaire), Strasbourg livrait alors une musique mélangeant coldwave, indus et zouk. Rien que ça. 2014, le groupe sort le EP « Sexe & Violence » (également chroniqué sur le site), et c'est soudain la stupeur, l'angoisse la plus totale. Exit les rythmiques zouks, place à un son plus bruitiste, plus gris, plus claustro. La défiance qui émane de ces chansons se fait désormais plus frontale, plus assumée peut-être. Sorti ce mois-ci sur le très bon label Le Turc Mecanique, « Fruit De La Passion » est un premier album radical, étouffant, hypnotique, dans la droite lignée de « Sexe & Violence ». Le disque regorge ainsi de titres fabuleux, « Jesus », « Sangria » ou encore « Galope ». Les ambiances sont variées, et on découvre la capacité du groupe à tenir la route sur des rythmiques plus lentes, comme sur les morceaux « Jessica » et « Fruit de la Passion », à la noirceur oppressante. Le meilleur titre de ce disque constitue également un des morceaux les plus tétanisants sortis en 2015, toutes catégories confondues : « Vague à l'âme ». En début de chronique, j'avançais le fait qu'un bon disque est celui que l'on va pouvoir rattacher à des sensations, des émotions, un vécu bien précis. J'ai ainsi pu l'expérimenter avec ce titre là.
Un soir d'orages, alors que j'arpente les routes des abords de Toulouse en voiture, j'observe le ciel noir lézardé d'éclairs. Je lance l'album de Strasbourg, les premières notes de « Vague à l’Âme » résonnent dans le véhicule : les grondements du tonnerre, le craquement violent de la foudre qui tombe, la pluie battante, le rythme effréné de cette chanson, une mélodie menaçante, un chant possédé... Pendant l'espace d'un peu plus de quatre minutes, la nature, dans tout ce qu'elle de plus fort et de sublime, se confond avec la musique pour créer une expérience émotionnelle subjective qui me liera sans aucun doute de manière durable avec ce morceau. « Vague à l'âme » fait partie de ces chansons que j'arrive à raccrocher au réel, ici un orage pluvieux dans la nuit. Et c'est peut-être ce qui définit le mieux cet album.
C'est pour des chansons comme celle là que j'aime toujours autant prendre le temps de découvrir des albums, en espérant y trouver une résonance toute particulière. Malgré un monde toujours plus nihiliste, le plaisir que nous pouvons prendre avec la musique reste un des grands bonheurs qui nous est encore accordé. Le spectacle du monde est ce qu'il est : nous sommes au beau milieu d'un champ de ruines encore fumantes, il s'agit alors pour nous de rester droits. Si effectivement notre société montre des signes de mauvaise santé, alors préparons nous au pire dignement, sur le pont, une bouteille de vin à la main, et l'album de Strasbourg sur le tourne disque. Le tout en prônant le fait tragique que l'idéal humain se trouve peut-être dans la ligature des trompes et la vasectomie.