Föllakzoid – III (Sacred Bones Records) // par Nicolas Gougnot
En mangeant – Maëviq avait découvert ce qu’était qu’y prendre du plaisir en se trouvant face à un pot-au-feu de canard confit cuit en compagnie d’archaïques tubercules - ils avaient évoqué plus en profondeur la situation du nouvel arrivant et les potentialités de son avenir. Et le jeune homme avait accepté, sans retenue ni condition. Il avait été difficile de s’habituer à de nouveaux repères, de nouvelles contraintes, de nouveaux rapports humains. Mais désormais, bien de années après, il se sentait véritablement heureux, complètement humain.
Ce jour-là, cependant, la situation avait de nouveau radicalement changé. Il était sur le pas de la porte de la maison. Le matin même, il avait enterré Robinson. Le vieux n’était plus, avec lequel il avait vécu tant d’années, apprenant auprès de lui, échangeant à propos de lectures et d’écoutes de disques, puis l’entourant de ses attentions, tentant maladroitement d’alléger le fardeau de son agonie.
Il éprouvait inconsciemment le besoin de reproduire ce qu’il avait fait le soir de son arrivée, après le repas. Il s’assit donc sur le banc, près de la porte de la maison qui était désormais la sienne et regardait les étoiles. Auparavant, il avait déposé sur la platine le disque même que Robinson avait décidé d’écouter après avoir bourré sa pipe de plantes odorantes. Désormais seul, Maëviq écoutait monter les premières notes d’Electric, effleurement de cordes bloquées, aux sons déformés par les effets et répétés par le delay, charleston discret et basse aux gimmicks réitérés, voix susurrées au fond d’un brouillard épais. Douze minutes d’une montée en forme d’appel à l’introspection. Earth, titre à peine moins éthéré que le précédent, était le préféré de Robinson sur cet album, car, disait-il, « il évoque la Terre et j’aime pouvoir y mettre ce que je veux : la planète est un organisme vivant, au fonctionnement complexe, et j’y conçois la présence humaine comme un cancer, qui la ronge. J’essaie au contraire de m’y comporter en bactérie bienveillante, reconnaissante des bienfaits que mon hôte me procure ». Maëviq ne pouvait bien entendu pas aller à l’encontre de la philosophie de son vieux maître. Il avait appris à vivre en gérant les ressources à sa disposition, mais avait dû s’en cacher de tous. Quelle absurdité !
Le martial Piure lui rappela cette soirée d’un ciel morose, lors de laquelle Robinson avait entrepris l’éducation de son jeune élève au krautrock à la rythmique martiale. Celui qui était désormais un homme d’âge presque mûr se fit la remarque que, hormis les vieux classiques allemands des années 1970, Föllakzoid constituait la seule concession aux sons électroniques de la discothèque à la tête de laquelle il se trouvait. Robinson n’aimait que l’organique et malgré l’électricité nécessaire pour faire sonner les instruments, il n’avait acheté et n’écoutait que de la musique jouée, refusant ce qu’il nommait « la musique en conserve ». Ce qui était le cas du groupe dont les enregistrements laissaient échapper leurs sonorités vers la colline verte où gisait dès lors le corps de l’homme qui avait réussi à vivre selon ses principes. Se laissant porter par les frappes métronomiques et les tonalités quelque peu anxiogènes, Maëviq s’interrogea sur sa capacité à exister, seul, sur les mêmes bases. Il en conclut qu’il n’avait, quoi qu’il advienne, pas le choix.
Feuerzeug, plus pacifié et nébuleux malgré les grésillements électriques stridents, lui apporta la réponse. Il regarda une nouvelle fois le ciel étoilé, strié des traînées blanches des aéroporteurs. A présent, il le savait, il ne s’appelait plus Maëviq, il serait Robinson.
Ce jour-là, cependant, la situation avait de nouveau radicalement changé. Il était sur le pas de la porte de la maison. Le matin même, il avait enterré Robinson. Le vieux n’était plus, avec lequel il avait vécu tant d’années, apprenant auprès de lui, échangeant à propos de lectures et d’écoutes de disques, puis l’entourant de ses attentions, tentant maladroitement d’alléger le fardeau de son agonie.
Il éprouvait inconsciemment le besoin de reproduire ce qu’il avait fait le soir de son arrivée, après le repas. Il s’assit donc sur le banc, près de la porte de la maison qui était désormais la sienne et regardait les étoiles. Auparavant, il avait déposé sur la platine le disque même que Robinson avait décidé d’écouter après avoir bourré sa pipe de plantes odorantes. Désormais seul, Maëviq écoutait monter les premières notes d’Electric, effleurement de cordes bloquées, aux sons déformés par les effets et répétés par le delay, charleston discret et basse aux gimmicks réitérés, voix susurrées au fond d’un brouillard épais. Douze minutes d’une montée en forme d’appel à l’introspection. Earth, titre à peine moins éthéré que le précédent, était le préféré de Robinson sur cet album, car, disait-il, « il évoque la Terre et j’aime pouvoir y mettre ce que je veux : la planète est un organisme vivant, au fonctionnement complexe, et j’y conçois la présence humaine comme un cancer, qui la ronge. J’essaie au contraire de m’y comporter en bactérie bienveillante, reconnaissante des bienfaits que mon hôte me procure ». Maëviq ne pouvait bien entendu pas aller à l’encontre de la philosophie de son vieux maître. Il avait appris à vivre en gérant les ressources à sa disposition, mais avait dû s’en cacher de tous. Quelle absurdité !
Le martial Piure lui rappela cette soirée d’un ciel morose, lors de laquelle Robinson avait entrepris l’éducation de son jeune élève au krautrock à la rythmique martiale. Celui qui était désormais un homme d’âge presque mûr se fit la remarque que, hormis les vieux classiques allemands des années 1970, Föllakzoid constituait la seule concession aux sons électroniques de la discothèque à la tête de laquelle il se trouvait. Robinson n’aimait que l’organique et malgré l’électricité nécessaire pour faire sonner les instruments, il n’avait acheté et n’écoutait que de la musique jouée, refusant ce qu’il nommait « la musique en conserve ». Ce qui était le cas du groupe dont les enregistrements laissaient échapper leurs sonorités vers la colline verte où gisait dès lors le corps de l’homme qui avait réussi à vivre selon ses principes. Se laissant porter par les frappes métronomiques et les tonalités quelque peu anxiogènes, Maëviq s’interrogea sur sa capacité à exister, seul, sur les mêmes bases. Il en conclut qu’il n’avait, quoi qu’il advienne, pas le choix.
Feuerzeug, plus pacifié et nébuleux malgré les grésillements électriques stridents, lui apporta la réponse. Il regarda une nouvelle fois le ciel étoilé, strié des traînées blanches des aéroporteurs. A présent, il le savait, il ne s’appelait plus Maëviq, il serait Robinson.