Venue d'une faille spatio-temporelle située entre les années 60 et le royaume merveilleux de Glastonbury, cette nouvelle chronique a pour objectif de faire le lien entre les artistes du présent et leurs différentes influences, le tout dans des endroits ou des contextes plus ou moins insolites. Comment cette idée a-t-elle germé dans la tête de notre Super Poncho ?
Pour tout dire, cette chronique, c'est un peu la Bêtise de Cambrai de l'homme au poncho... Alors qu'une interview des Blondi's Salvation se tramait, il eut vent d'une interview déjà réalisée par Rock à la Casbah ! La tuile !
Mais bon, quand on a la possibilité d'entrer en contact avec ce qui se fait de mieux dans le psyché en ce moment, on se remue les méninges et on trouve quelque chose pour les intéresser ! C'est là que j'ai repensé à ce que pouvait faire le disquaire Amoeba de San Francisco en invitant les groupes à venir choisir quelques vinyles pour en parler dans la chronique What's in my bag ! On saisit dès lors certaines logiques de compositions, des références voire des envies futures...
Les Blondi's Salvation, nous les avions donc déjà présenté lors de la sortie de leur album Widsom Whisper et super Poncho avait vu ses sens chamboulés, pas plus tard que lors de leur concert au Bus Palladium. C'est à cette occasion que nous avions rencontré Manuel Jesus, pour lui proposer de se voir afin de parler du groupe et de leur avenir proche.
Finalement, cette simple interview s'est transformée en une rencontre informelle aux Balades Sonores, disquaire niché aux confins de la Butte Montmartre. Pourquoi les Balades Sonores ? Pour être honnête, je n'y avais encore jamais mis les pieds mais un lien affectif nous unissait... Il y a un an presque jour pour jour, alors que j'étais à la Maroquinerie pour le concert de White Fence, je discutais avec la personne qui tenait le stand de la boutique ce soir-là et je lui demandais si elle n'avait pas le disque d'un groupe nommé les Mystic Braves... Quelle ne fut pas ma surprise quand on me répondit par l'affirmative ! Depuis j'aime cette boutique ! Ha l'amour, c'est pas grand chose...
Pour les Blondi's Salvation, il aurait fallu la collection de vinyles de John Peel pour les satisfaire ! Un truc à la hauteur de leur musique, sans codes, sans compromis. Les Balades Sonores étaient le lieu idoine.
Voici la consigne donnée : choisir cinq disques et en parler. Merci à Etienne, Julien et Manuel pour leur gentillesse et on n'oublie pas les deux autres membres du groupe, Morgane et Mathieu. Plus qu'une interview, c'est un échange autour de leurs conceptions de la musique, de sa transmission et de ce qu'elle peut procurer comme émotions. Une véritable plongée dans ce qui fait l'ADN du groupe et ce qui en fait l'un des groupes les plus excitants du moment.
Extraits.
Comment retranscrire à l'écrit l'atmosphère de cette rencontre ? J'avais pour objectif de publier un texte brut, laissant une large place au groupe. Finalement, ce sera une sorte de texte hybride, entre la simple retranscription et la chronique. 20 albums et autant d'histoires. Après une réflexion sur cette liste de disques, on saisit les liens entre les nombreuses références, projetant une sorte de discographie mentale dont la musique produite par les Blondi's Salvation serait la résultante.
« On l'écoute souvent et on nous en parle souvent »
En choisissant le premier album de Goat pour commencer, j'eus comme l'impression qu'Etienne avait lu dans mes pensées. Entre références communes et distanciation, petite mise au point sur leur rapport aux bardes suédois.Etienne : « Donc je vais commencer avec Goat et leur premier album World Music. Je l'ai découvert y'a deux trois ans sur internet en tombant complètement par hasard sur la chanson Golden Dawn. C'était à l'époque où on allait sortir notre deuxième album et on avait commencé à mettre des sonorités africanisantes et je trouvais que le mix qu'ils en faisaient eux était super intéressant, notamment au niveau des voix, des rythmiques et du traitement un peu rock rétro ».
Rémi : « Vous les avez déjà rencontré ? Vus en concert ? »
Etienne : « Pas encore. Ils étaient passés pendant notre tournée de l'été, du coup, on avait pas pu y aller. C'est dommage, surtout que leur dernier album est super cool aussi ! »
Rémi : « Et si vous deviez vous inspirer de quelque chose chez eux ? »
Manuel : « Je dirais les percus. La synergie entre la batterie et les percussions est assez bien foutue ».
Etienne : « Les voix féminines aussi. C'est un truc qu'on a pas du tout nous et même si y'a aussi un côté assez gueulard, ça apporte toujours quelque chose ».
Julien : « On l'écoute souvent et on nous en parle souvent. Mais leur second album est sorti alors que notre deuxième album était déjà enregistré. C'est une assez bonne coïncidence qui montre qu'en fait, on écoute et on est influencé par des choses similaires ».
Etienne : « Le côté costumé est aussi super sympa. C'est pas forcément transposable à notre musique et on a pas forcément envie de le faire mais c'est sur que ça ajoute un vrai plus à leurs performances sans toutefois tomber dans le has-been ».
Rémi : « Je voulais aussi choisir cet album pour vous en parler. Ça se sent qu'il y a des influences communes mais les deux groupes les retranscrivent de manière différente. »
Ce mélange des genres si cher à Blondi's Salvation, on le retrouve dans plusieurs choix des membres. Manuel est celui qui a été le plus cosmopolite. Notamment l'album Shaka Bundu du Sud-Africain Penny Penny, culte à ses yeux. Et avec l'album 21th Century Molam du Paradise Bangkok Molam International Band, c'est en Thaïlande que l'on atterrit.
Manuel : « Un disque qu'Etienne m'a offert pour mon anniversaire l'année dernière, 21th Century Molam du Paradise Bangkok Molam International Band. C'est un groupe basé à Bangkok, basé sur du pintaï, de la musique traditionnelle thaïlandaise. C'est pas vraiment de la musique traditionnelle, c'est remodernisé. Et c'est super intéressant parce que c'est différent des simples jams. Y'a de vrais morceaux écrit. C'est super varié avec des morceaux où tu as juste du qin, un espèce d'orgue à bambou ».
Après avoir écouté le disque, j'ai possiblement pris une claque qui m'a fait faire trois fois le tour de mon poncho sans toucher l'élastique ! Exceptionnel ! Et je comprends maintenant d'où vient cet instrument utilisé dans le titre Two Headed Dragon.
« C'est marrant parce que j'ai jamais compris pourquoi ce groupe était aussi mythique... »
Alors qu'on venait d'apprendre la mort de Paul Kantner, guitariste du Jefferson Airplane, on s'amusa à évoquer cet espèce de bordel organisé par des virtuoses. On apprit alors qu'Etienne avait failli s'acheter l'Epiphone de Jack Cassady, que l'album Crown of Creation avait leurs faveurs et surtout que l'ingé son de leur dernier album avait « entendu du Jefferson Airplane dans leurs sons ».
Il a également été question de Cream, du Satanic Majesties Requests des Rolling Stones mais surtout du 13th Floor Elevator. Comment ne pas parler de ce groupe avec un tel titre de chronique ! Petit moment révélation...
Rémi : « Mon troisième choix s'est porté sur le deuxième album du 13th Floor Elevator, Easter Everywhere, qui est pour moi le meilleur. Il est encore plus psyché et a des chansons encore plus fortes. On a Dust qui vient d'être reprise par le Brian Jonestown Massacre, Slip inside this house, cette fois-ci reprise par Primal Scream. Et bien sur, la chanson I've got Levitation, qui donne son nom au festival d'Austin et qui décrit tout l'univers du groupe ».
Manuel : « C'est marrant parce que j'ai jamais compris pour ce groupe était aussi mythique... ».
Julien : « Je comprends mais par contre niveau son, on entend quasi pas les parties, c'est horrible ! »
(Petit interlude autour de l'instrument phare des pionniers du psyché, cette cruche et ce son si reconnaissable!)
Manuel : « D'ailleurs, dès que t'utilises cet instrument, direct c'est :'' ok c'est le 13th Floor'' ! Je vois vraiment le succès du groupe comme le résultat du côté mythique autour de l'entité groupe ».
« Et même si on fait pas la même chose, BJM est au fondement de notre groupe avec toujours, cette envie de créer et d'explorer »
Julien : « J'ai choisi un classique pour nous : Give it Back du Brian Jonestown Massacre. On aime énormément ce groupe et pour moi, cet album, c'est un peu un mash-up de tout ce qu'ils peuvent faire. Par exemple, t'as des trucs vraiment oriental avec du sitar, des chansons vraiment rock, folk, y'a vraiment de tout. C'est l'un des premiers albums à acheter pour découvrir le groupe et comprendre le délire ».
Etienne : « L'intro avec Super-Sonic quand ça part, bam, tu te le prends en pleine face, c'est fou ! »
Rémi : « C'est pas mon album favori du groupe, je serais plus Take it From the Man. Mais c'est vrai que quand j'ai commencé à écouter le groupe, c'est avec cet album et la chanson Servo. Cet album, c'est vraiment le passage obligé pour comprendre ou aimer le groupe ».
Julien : « Carrément ! Et même si on fait pas la même chose, BJM est au fondement de notre groupe avec toujours, cette envie de créer et d'explorer. C'est aussi une de nos ambitions de ne pas tout le temps faire la même chose ! ».
Rémi : « Et du coup, des pistes pour le prochain album ? »
Le groupe : « Oui mais on ne dit pas qu'on va faire tel ou tel style. C'est par des écoutes, des envies, des idées. C'est une montagne de choses qui vont faire l'album et pas une chose en particulier. C'est un processus très affectif ! »
Julien : « J'enchaîne avec un disque de Spacemen 3. Je trouve qu'on parle pas assez de ce groupe ! Ils sont pas assez cités dans les références. C'est pourtant un groupe pionnier. Ils ont commencé en 83 et Anton Newcombe, c'est l'un de ses groupes préférés et tu sens que c'est l'un des groupes qui l'a le plus influencé. Et ça s'entend quand tu écoutes cet album-là, Perfect Prescription. Faut vraiment se mettre dedans, c'est hyper long mais une fois que t'y es, c'est incroyable ! Toutes les ambiances se retrouvent dans quasiment tous les groupes de psyché contemporains, de manière plus ou moins forte. La nouvelle génération ne va pas forcément être inspirée par Spacemen 3 mais par des groupes qui sont eux complètement influencés par le groupe et ça s'entend tout de suite ! Ils ont créé une ambiance totalement différente et si aujourd'hui t'as des trucs comme le Levitation, c'est un peu grâce à eux et je trouve dommage qu'on en parle pas assez ».
« Sa voix a un vrai pouvoir. Je suis sûr qu'il pourrait apaiser les animaux juste en leur parlant »
Etienne : « Pink Moon de Nick Drake. On me l'a offert quand j'avais 13 ans et j'ai détesté. J'ai trouvé que la voix était tout pourrie et que c'était gnangnan au possible. Du coup, il a fini dans mon bac à disques jusqu'à que je le redécouvre à la fin de mon lycée et là, une espèce de révélation ! Je devais être trop con à l'époque !
Sur cet album là, il doit y avoir une ou deux guitares et la voix de Nick Drake. J'ai choisi pas mal de disques sur les voix mais là, c'est très particulier parce que cet album qui est folk, je le trouve hyper psychédélique, avec une atmosphère où ton esprit s'évade totalement. Sa voix a un vrai pouvoir. Je suis sûr qu'il pourrait apaiser les animaux juste en leur parlant. Tu as l'impression d'être sous son emprise. Alors là, ça serait plutôt fin de soirée, tous tes potes se sont enfin barrés, t'es tranquille dans ton canap', t'es enfin posé, tu mets ça ! »
« Du film lui-même se détache une histoire que tu te construis toi-même dans ta tête »
Manuel : « C'est Mathieu qui m'a fait découvrir Philipp Glass cette année. Mathieu, c'est un peu le théoricien de la musique du groupe ! J'ai du mal à expliquer mais ça m'a vraiment pris aux tripes... C'est une vision différente de la musique qui m'a conquis ! C'est tout à la fois avec pleins de parties avec pleins d'instruments, pleins de rythmiques différentes qui se mélangent et je trouve ça étonnamment logique ! 4 temps, 5 temps qui se mélangent et tout est évident ! »
Julien : « C'est presque de la transe alors que c'est de la musique classique ! C'est des cuivres, des claviers... »
Etienne : « Ha oui et puis y'a le film Koyaanisqatsi qui fait partie d'une trilogie pour laquelle il a fait la musique ! En gros, il te filme l'humanité sous différents aspects et la BO est entièrement composée par Philipp Glass ! C'est juste des plans. Beaucoup de timelapse aussi. Si t'arrives à te mettre dedans, c'est une baffe intersidérale ! »
Manuel : « Y'a pas de scénarios ni de voix ! Du film lui-même se détache une histoire que tu te construis toi-même dans ta tête ! Ils ont essayé de faire voir l'humanité sous un angle qu'on peut pas avoir avec nos propres yeux ! Beaucoup de focales extrêmes. Ça donne des plans très écrasés où tu te rends par exemple compte que nos bâtiments ne sont que des lignes dans l'espace. T'as une vision différente du temps et de l'espace ! Y'a une séquence en timelapse dans le métro où tu vois des escalators vomir des flots de personnes, c'est assez impressionnant ! »
« C'est que t'es devenu vieux et que tu perds la boule toi aussi ! »
Julien : « Finissons avec In Utero de Nirvana ! C'est le premier album que j'ai acheté de ma vie, j'étais en 5ème ! Je trouve encore actuellement que c'est le meilleur ! C'est l'aboutissement de tout ce qu'ils ont fait. Ok Nevermind, c'est l'album des tubes etc. Mais là, je trouve que c'est vachement plus brut ! C'est l'album le plus honnête. Par moment, c'est hyper vénère et bourrin et à d'autres c'est super calme. Tu sens qu'il commence à perdre un peu la boule et forcément, quand on connait la suite, c'est touchant !
Pendant longtemps, je l'ai pas écouté et en le réécoutant maintenant, je le trouve toujours top ! C'est pas juste ''j'étais adolescent et c'était cool'', non non, c'était vraiment bien et les raisons pour lesquelles je l'aimais sont toujours les mêmes ! »
Etienne : « Ouais c'est que t'es devenu vieux et que tu perds la boule toi aussi ! »
Julien : « Je pense que l'intérêt que j'ai pour ce groupe va vraiment au-delà de la nostalgie ! Je regarde même pas de ce qu'ils sont devenus, je les aime parce que leur musique est super honnête. Même si le mec chante faux, ça défonce tout et c'est le principal ! »
« Imagine, c'est à une heure en bagnole de chez nous ! »
Rémi : « Pour conclure, je choisis le dernier album des Night Beats ! J'ai pu l'écouter et c'est du très haut niveau ! La dernière chanson Egypt Berry est d'une puissance phénoménale ! Ils ont encore évolué. Je préférais leur premier album à Sonic Bloom mais là, ils ont encore franchi un cap ».
Julien : « Je préfère aussi le premier album même si t'as des chansons top dans Sonic Bloom comme Rat King qui est radicalement différente de ce qu'ils pouvaient faire. On a écouté deux chansons de l'album, le mixage a l'air un peu à l'arrache mais après, c'est aussi ce qui rend un disque réécoutable ! Et ce groupe, c'est surtout dans l'intention, dans la manière de jouer qu'il est intéressant ! Y'a pas mal de choses qui peuvent les ramener à des groupes des années 60 mais tu as aussi pleins d'aspects qui différent! Dans le jeu de guitare par exemple, le Danny c'est un malade ! Il est vraiment ouf ! »
Rémi : « Vous aviez fait leur première partie ? »
Julien : « Ouais, c'est là qu'on les a rencontré pour la première fois. Et d'ailleurs, ils nous avaient dit qu'ils allaient faire un festival en Europe comme l'Austin Psych Fest et qu'ils nous appèleraient quand ça se ferait ! Et vu qu'Austin est jumelé avec Angers, c'est tombé là-bas ! Imagine, c'est à une heure en bagnole de chez nous ! »
Si je devais revenir en quelques mots sur cet échange, il faudrait mettre en évidence l'âme de poète d'Etienne, qui a travers ses choix a défini une liste de disques à écouter en fonction de chaque moment de la journée. Merci à Manuel qui nous a fait voyager aux quatre coins du monde et même au-delà... Et on comprend dès lors comment les Blondi's Salvation en sont arrivés à mêler autant d'influences. Et enfin Julien, qui par son oreille de professionnel nous a permis d'entendre certaines particularités de chaque disque. On sait donc d'où vient ce son si particulier du groupe...
Ce n'est plus Angers que les Blondi's Salvation vont conquérir au mois de mai mais les Etats-Unis avec une première participation au Levitation d'Austin suivie d'une tournée d'un mois !