« Gros Oiseau» (Ascenseur Emotionnel Recordz - Cheptel Records) // par Nicolas Gougnot
Dans le petit matin blême, Jean-Marie est fin prêt. Jean-Marie Leborgne, dans son écrin kaki, tient fermement l’ersatz de virilité dont il compte bien faire usage, lançant alentour un regard jaune hépatique que qualifier de bovin serait faire injure à la noble espèce des ruminants. Il a rejoint son poste il y a un moment déjà, après avoir quitté ses comparses affublés des mêmes frusques verdâtres, attendant patiemment que ceux-ci rabattent les proies dans sa direction. Il espère bien jouir d’un afflux de testostérone au détriment d’innocentes et sylvestres bestioles, nourries par ses soins durant l’année dans l’optique de les éclater à la Winchester sitôt les frimas arrivés. Que l’amour de la nature est un noble sentiment !
Assez peu encombré par ce que l’on nomme communément « pensées », l’informe amas contenu dans sa boîte crânienne lui envoie des images des plus plaisantes. Il se voit découvrir, au pied du sapin, une magnifique veste à l’orange fluorescent imprimé de délicats motifs d’inspiration camouflage. Il s’imagine l’étrennant, fier comme un pape, une dague à la main, achevant quelque animal blessé par les chiens encerclé. Le front bas, mais la tête haute, il contemple le plafond nuageux à peine plus élevé que ses méditations confuses.
Soudain, des jappements nombreux le tirent de ses rêveries. Ça s’approche, c’est pour lui, la meute rabat l’animal par ici ! Qu’est-ce que c’est, sanglier ou chevreuil ? Peu importe tant que ça se tire ! Faire gaffe à pas dézinguer un jogger, comme la dernière fois, son petit cul moulé dans un fuseau bleu électrique. Même qu’à cause des couleurs vives de la tenue du gusse, il l’avait pris pour un martin-pêcheur. Plomber le rigolo lui a d’ailleurs valu une sévère amende pour braconnage d’espèce protégée, il l’a encore en travers de la gorge. Méfiance, s’agirait pas que ça recommence… « Caudillo ! Bleu Marine ! Je-Suis-Partout ! Duce ! Maréchal ! », crie-t-il pour encourager ses chiens, déjà bien excités par une liberté qu’ils ne vivent que pour tuer. Et voici que du bois surgit la bête, épuisée, talonnée par les clebs. Jean-Marie épaule et tire. Par deux fois l’arme aboie, laissant s’échapper une langue de feu. L’animal, touché, s’écroule en lançant un cri pathétique, un bêlement fragile, presque des pleurs d’enfant. Notre héros court autant que ses excès pondéreux et ses bottes en caoutchouc le lui permettent. Essoufflé, le visage congestionné encore plus fluorescent que la veste de ses rêves, il s’approche, jette au sol son fusil et, dégainant sa lame, s’accroupit auprès de la bête encore vivante pour l’achever et en prélever le trophée qui lui revient de droit. Ses chiens lui font la fête, lui tournant autour, la queue fouettant l’air étonnamment doux pour la saison, qui jappant, qui couinant, qui réclamant une flatterie de son maître. Dans l’agitation, Benito, un beagle particulièrement malhabile de ses pattes, s’en coince une dans le pontet, le petit bidule protégeant la gâchette de la Winch de son maître, actionnant ainsi le mécanisme de l’arme, libérant un projectile létal en direction de son propriétaire affairé.
Merde, se dit celui-ci tandis que la masse cortico-gélatineuse se répand alentour. La lumière, pour une fois, prend possession de ses sens. Son corps, immédiatement pris en charge par les psychopompes, est propulsé tête la première à une vitesse démente, franchit embranchement sur embranchement, dans une direction dont il ignore tout. Ralentissant enfin, il commence à pouvoir lire des panneaux. Il se trouve donc dans un univers cohérent, organisé. Il ne peut que se réjouir quand il lit l’indication « Gros Oiseau » au hasard de sa trajectoire. C’est le paradis, se dit-il. Je vais tirer des volatiles pendant l’éternité, sans être emmerdé par les écolos.
Quelle n’est pas sa désillusion quand il se trouve soudainement rivé à un siège en plastique moulé et inconfortable ! Face à lui, des escogriffes avec des barbes pourvus d’instruments électriques. En voilà, de drôles de paroissiens… Mais qu’est-ce que c’est que ces conneries, marmonne-t-il en tentant vainement de s’extraire de son siège. Et ça commence par un raclement électronique avant qu’une ligne de basse syncopée de disco dépravée n’introduise un déluge verbal scandé en français par un individu de race certes caucasienne mais néanmoins louche. MAIS CA VEUT RIEN DIRE !!, essaie bien de hurler notre bougre, sans qu’un son organisé parvienne à sortir de son orifice buccal malmené par le malencontreux événement l’ayant propulsé céans. Suivent de la poésie sur du swing déglingué (« PEDALES COMMUNISTES !!! »), des horreurs d’hôpital psychiatrique hurlées dans un micro saturé (« MONGOLS DEGENERES !!»), des expérimentations bruitistes (« NIHILISTES !», mais comment Jean-Marie connait-il ce mot-ci ?), des sons qui écrasent les tympans comme un marteau-piqueur, épuisant jusqu’à la possibilité de révolte du conservateur frustre, incapable de concevoir une autre vérité que la sienne. Ecouter Gros Oiseau, c’est être confronté à l’étrangeté et à l’inclassable, au différent et à l’incertain. Y être confronté pour l’éternité, voilà l’enfer pour qui se sent rassuré par la perpétuation de traditions étriquées, et parfois brutales.
Assez peu encombré par ce que l’on nomme communément « pensées », l’informe amas contenu dans sa boîte crânienne lui envoie des images des plus plaisantes. Il se voit découvrir, au pied du sapin, une magnifique veste à l’orange fluorescent imprimé de délicats motifs d’inspiration camouflage. Il s’imagine l’étrennant, fier comme un pape, une dague à la main, achevant quelque animal blessé par les chiens encerclé. Le front bas, mais la tête haute, il contemple le plafond nuageux à peine plus élevé que ses méditations confuses.
Soudain, des jappements nombreux le tirent de ses rêveries. Ça s’approche, c’est pour lui, la meute rabat l’animal par ici ! Qu’est-ce que c’est, sanglier ou chevreuil ? Peu importe tant que ça se tire ! Faire gaffe à pas dézinguer un jogger, comme la dernière fois, son petit cul moulé dans un fuseau bleu électrique. Même qu’à cause des couleurs vives de la tenue du gusse, il l’avait pris pour un martin-pêcheur. Plomber le rigolo lui a d’ailleurs valu une sévère amende pour braconnage d’espèce protégée, il l’a encore en travers de la gorge. Méfiance, s’agirait pas que ça recommence… « Caudillo ! Bleu Marine ! Je-Suis-Partout ! Duce ! Maréchal ! », crie-t-il pour encourager ses chiens, déjà bien excités par une liberté qu’ils ne vivent que pour tuer. Et voici que du bois surgit la bête, épuisée, talonnée par les clebs. Jean-Marie épaule et tire. Par deux fois l’arme aboie, laissant s’échapper une langue de feu. L’animal, touché, s’écroule en lançant un cri pathétique, un bêlement fragile, presque des pleurs d’enfant. Notre héros court autant que ses excès pondéreux et ses bottes en caoutchouc le lui permettent. Essoufflé, le visage congestionné encore plus fluorescent que la veste de ses rêves, il s’approche, jette au sol son fusil et, dégainant sa lame, s’accroupit auprès de la bête encore vivante pour l’achever et en prélever le trophée qui lui revient de droit. Ses chiens lui font la fête, lui tournant autour, la queue fouettant l’air étonnamment doux pour la saison, qui jappant, qui couinant, qui réclamant une flatterie de son maître. Dans l’agitation, Benito, un beagle particulièrement malhabile de ses pattes, s’en coince une dans le pontet, le petit bidule protégeant la gâchette de la Winch de son maître, actionnant ainsi le mécanisme de l’arme, libérant un projectile létal en direction de son propriétaire affairé.
Merde, se dit celui-ci tandis que la masse cortico-gélatineuse se répand alentour. La lumière, pour une fois, prend possession de ses sens. Son corps, immédiatement pris en charge par les psychopompes, est propulsé tête la première à une vitesse démente, franchit embranchement sur embranchement, dans une direction dont il ignore tout. Ralentissant enfin, il commence à pouvoir lire des panneaux. Il se trouve donc dans un univers cohérent, organisé. Il ne peut que se réjouir quand il lit l’indication « Gros Oiseau » au hasard de sa trajectoire. C’est le paradis, se dit-il. Je vais tirer des volatiles pendant l’éternité, sans être emmerdé par les écolos.
Quelle n’est pas sa désillusion quand il se trouve soudainement rivé à un siège en plastique moulé et inconfortable ! Face à lui, des escogriffes avec des barbes pourvus d’instruments électriques. En voilà, de drôles de paroissiens… Mais qu’est-ce que c’est que ces conneries, marmonne-t-il en tentant vainement de s’extraire de son siège. Et ça commence par un raclement électronique avant qu’une ligne de basse syncopée de disco dépravée n’introduise un déluge verbal scandé en français par un individu de race certes caucasienne mais néanmoins louche. MAIS CA VEUT RIEN DIRE !!, essaie bien de hurler notre bougre, sans qu’un son organisé parvienne à sortir de son orifice buccal malmené par le malencontreux événement l’ayant propulsé céans. Suivent de la poésie sur du swing déglingué (« PEDALES COMMUNISTES !!! »), des horreurs d’hôpital psychiatrique hurlées dans un micro saturé (« MONGOLS DEGENERES !!»), des expérimentations bruitistes (« NIHILISTES !», mais comment Jean-Marie connait-il ce mot-ci ?), des sons qui écrasent les tympans comme un marteau-piqueur, épuisant jusqu’à la possibilité de révolte du conservateur frustre, incapable de concevoir une autre vérité que la sienne. Ecouter Gros Oiseau, c’est être confronté à l’étrangeté et à l’inclassable, au différent et à l’incertain. Y être confronté pour l’éternité, voilà l’enfer pour qui se sent rassuré par la perpétuation de traditions étriquées, et parfois brutales.