Rest’ la Maloya (Moi J'Connais Records - Sofa Records 2015) // Par Nicolas Gougnot
Depuis de longues dizaines de minutes, des heures peut-être, comment savoir, il n’a pas retrouvé sa montre à la fin des vacances, Monsieur Mercier est retenu prisonnier dans la Salle de Réunion, le postérieur talé par l’assise trop dure d’une chaise en contreplaqué rose aux formes arrondies se voulant audacieuses selon les critères en vigueur au sein de l’Administration mais ne parvenant qu’au grotesque et à l’inconfort. Le sol est couvert d’une moquette imprégnée de décennies de fréquentation et de subséquentes myriades d’acariens. Monsieur Mercier a tout le loisir de constater que le papier peint, lui aussi, accuse le coup. Les rebords de chaque lai sont jaunis par le temps et la poussière humide. « Juge, en voyant ces ruines si amples / Ce qu'a rongé le temps injurieux ». Du Bellay trotte dans l’esprit de Monsieur Mercier ; cette fois c’est sûr, il s’emmerde pour de bon. Son regard vitreux se pose sur la fenêtre située juste derrière la Sous-Directrice du Service. Une pellicule blanchâtre filtre la lumière du soleil, apportant une touche blafarde au déjà peu joyeux éclairage aux néons, dont un clignote en produisant à intervalles réguliers un « ting » des plus exaspérants. Il ne s’agit bien entendu que de la Salle de Réunion B, la Salle de Réunion A étant réservée à un public de niveau supérieur, capable d’apprécier la modernité du mobilier à l’exubérante fadeur lisse et fonctionnelle, strictement vingt-et-unième siècle.
… vous emparer de ce dispositif ambitieux seul à même d’assurer la réussite du public que nous accueillons, tout en développant l’appétence pour les apprentissages afin de gommer les inégalités très fortes en vigueur dans notre établissement pour ce qui concerne les origines sociales…OK, c’est la même que l’année dernière, Monsieur Mercier n’a rien raté d’important jusqu’à présent. S’agit juste de faire gaffe à la première question, dont la victime se trouve être, une fois sur deux, sa personne offerte en holocauste sur l’autel des réunions à la con.
…extrême vigilance quant aux comportements déviants…C’est pour bientôt. Mais rien à faire, son regard se trouble de nouveau, il lui faut lutter. Ses yeux se posent sur la bouche mollement pulpeuse et faussement souriante de Madame La Sous-Directrice du Service, source de son assoupissement. Charnues, aux commissures naturellement orientées vers le bas, les lèvres de la dame produisent un effort colossal pour se rehausser afin de tenter d’exprimer une complicité empathique, au contraire de son regard métallique trahissant la satisfaction glacée de l’Inquisiteur face à des aveux obtenus sous la torture. Normalement, les acteurs passifs de cette inutile réunion devraient avoir droit aux statistiques dans pas trop longtemps.
…le taux de réitération a bondi de 7 points, passant ainsi de 14% en 2014 à 21 % lors de la dernière session, en dépit de nos efforts pour fluidifier les parcours (+27% cette année), ce qui doit nous conduire à procéder à une remise en question de nos pratiques, tant collectivement qu’individuellement, réflexion à laquelle … et ainsi améliorer le taux de réussite du public fréquentant notre établissement, c’est ce sur quoi nous allons travailler cet après-midi de 14 heures à 17 heures 30.
Aaaaaaaaargh… Mais pourquoi ? Pourquoi ? Monsieur Mercier était bien en vacances, il ne faisait de mal à personne. Alors pourquoi tant de violence gratuite à son égard ? En vacances, pas de réunions, plutôt la Réunion. Non pas que l’Administration se laisse aller à de tels émoluments que ses employés puissent traverser la moitié du globe pour se dorer la pilule. C’est simplement que Monsieur Mercier a découvert Alain Peters. Pourtant informé au printemps, il était passé totalement à côté. Il a fallu l’enthousiasme estival et amical d’un apéritif appuyé au cœur de la douceur mamelonnée des pâturages clunisiens pour qu’il y prête véritablement attention. Folk tropicalisé, mélopées entêtantes du luth sahélien, atmosphère éthérée. Tout est simple et beau. C’est le son du petit verre de rhum face au soleil couchant, sous les cocotiers baignés par l’Océan Indien. Psychédélisme créole. C’est le son du petit verre de rhum en rentrant de la pêche, pendant que circule la cigarette de zamal. Blues délicat aux chœurs vaporeux, percussions douces et rythmes africains. C’est le son du petit verre de rhum qui fait oublier que même sous les tropiques, tout n’est pas toujours facile, qu’à la Réunion comme ailleurs rôde et menace le grand requin blanc de la détresse personnelle.
Cet album, réédition d’enregistrements jusqu’alors inédits en vinyle, est constitué de dix chansons subtiles, autant de poèmes, autant de verres de rhum qui vont droit au cœur de même qu’ils réchauffent l’âme. Alain Peters est mort trop jeune de trop de douleurs et d’alcool de canne. Mais le musicien-poète nous laisse en héritage des enregistrements que Moi J’Connais et Sofa Records, associés pour l’occasion, ont ramenés à la lumière pour le bonheur de nos oreilles épatées. Il y aurait donc autre chose que la Compagnie Créole dans notre empire ultramarin !
Aujourd’hui encore, captif dans ce symposium, dans ce concentré stérile de froides statistiques et de discours administrativement corrects, reviennent à l’esprit de Monsieur Mercier des fragments de ces complaintes gracieuses, les images mentales de ses regrettées vacances, les discussions avec les potes et l’odeur de la langouste grillée sous les palmiers. D’ailleurs, il se demande ce que peut bien sentir la langouste grillée… L’odeur d’une grosse crevette ? Et y en a-t-il seulement à la Réunion ? Monsieur Mercier a perdu pied. Le chaloupé de Mouillé Si Feuilles Songes a remplacé toute réflexion dans l’intellect de notre héros. Mélancolie insulaire et indolence tropicale. Psalmodies et berceuse tonique, clochettes indiennes et percussions profondes. Transe puissante et pourtant délicate de Wayo Mamman. Ça y est, son esprit s’extirpe de son enveloppe corporelle.
Soudain, l’unique cellule grise de veille tire la sonnette d’alarme. Son patronyme a été prononcé à voix haute par Mère Dolorès de la Pénitence Eternelle, l’arrachant brutalement à ses rêveries créoles.
Hein ? Heu…Merdemerdemerdemerde
Oui ? Mhhh… oui, pourquoi pas ? Au lourd silence gêné émanant de ses collègues et au regard foudroyant de Madame la Sous-Directrice du Sévice, Monsieur Mercier comprend que ce n’est pas encore cette année que sa Note Administrative augmentera.
… vous emparer de ce dispositif ambitieux seul à même d’assurer la réussite du public que nous accueillons, tout en développant l’appétence pour les apprentissages afin de gommer les inégalités très fortes en vigueur dans notre établissement pour ce qui concerne les origines sociales…OK, c’est la même que l’année dernière, Monsieur Mercier n’a rien raté d’important jusqu’à présent. S’agit juste de faire gaffe à la première question, dont la victime se trouve être, une fois sur deux, sa personne offerte en holocauste sur l’autel des réunions à la con.
…extrême vigilance quant aux comportements déviants…C’est pour bientôt. Mais rien à faire, son regard se trouble de nouveau, il lui faut lutter. Ses yeux se posent sur la bouche mollement pulpeuse et faussement souriante de Madame La Sous-Directrice du Service, source de son assoupissement. Charnues, aux commissures naturellement orientées vers le bas, les lèvres de la dame produisent un effort colossal pour se rehausser afin de tenter d’exprimer une complicité empathique, au contraire de son regard métallique trahissant la satisfaction glacée de l’Inquisiteur face à des aveux obtenus sous la torture. Normalement, les acteurs passifs de cette inutile réunion devraient avoir droit aux statistiques dans pas trop longtemps.
…le taux de réitération a bondi de 7 points, passant ainsi de 14% en 2014 à 21 % lors de la dernière session, en dépit de nos efforts pour fluidifier les parcours (+27% cette année), ce qui doit nous conduire à procéder à une remise en question de nos pratiques, tant collectivement qu’individuellement, réflexion à laquelle … et ainsi améliorer le taux de réussite du public fréquentant notre établissement, c’est ce sur quoi nous allons travailler cet après-midi de 14 heures à 17 heures 30.
Aaaaaaaaargh… Mais pourquoi ? Pourquoi ? Monsieur Mercier était bien en vacances, il ne faisait de mal à personne. Alors pourquoi tant de violence gratuite à son égard ? En vacances, pas de réunions, plutôt la Réunion. Non pas que l’Administration se laisse aller à de tels émoluments que ses employés puissent traverser la moitié du globe pour se dorer la pilule. C’est simplement que Monsieur Mercier a découvert Alain Peters. Pourtant informé au printemps, il était passé totalement à côté. Il a fallu l’enthousiasme estival et amical d’un apéritif appuyé au cœur de la douceur mamelonnée des pâturages clunisiens pour qu’il y prête véritablement attention. Folk tropicalisé, mélopées entêtantes du luth sahélien, atmosphère éthérée. Tout est simple et beau. C’est le son du petit verre de rhum face au soleil couchant, sous les cocotiers baignés par l’Océan Indien. Psychédélisme créole. C’est le son du petit verre de rhum en rentrant de la pêche, pendant que circule la cigarette de zamal. Blues délicat aux chœurs vaporeux, percussions douces et rythmes africains. C’est le son du petit verre de rhum qui fait oublier que même sous les tropiques, tout n’est pas toujours facile, qu’à la Réunion comme ailleurs rôde et menace le grand requin blanc de la détresse personnelle.
Cet album, réédition d’enregistrements jusqu’alors inédits en vinyle, est constitué de dix chansons subtiles, autant de poèmes, autant de verres de rhum qui vont droit au cœur de même qu’ils réchauffent l’âme. Alain Peters est mort trop jeune de trop de douleurs et d’alcool de canne. Mais le musicien-poète nous laisse en héritage des enregistrements que Moi J’Connais et Sofa Records, associés pour l’occasion, ont ramenés à la lumière pour le bonheur de nos oreilles épatées. Il y aurait donc autre chose que la Compagnie Créole dans notre empire ultramarin !
Aujourd’hui encore, captif dans ce symposium, dans ce concentré stérile de froides statistiques et de discours administrativement corrects, reviennent à l’esprit de Monsieur Mercier des fragments de ces complaintes gracieuses, les images mentales de ses regrettées vacances, les discussions avec les potes et l’odeur de la langouste grillée sous les palmiers. D’ailleurs, il se demande ce que peut bien sentir la langouste grillée… L’odeur d’une grosse crevette ? Et y en a-t-il seulement à la Réunion ? Monsieur Mercier a perdu pied. Le chaloupé de Mouillé Si Feuilles Songes a remplacé toute réflexion dans l’intellect de notre héros. Mélancolie insulaire et indolence tropicale. Psalmodies et berceuse tonique, clochettes indiennes et percussions profondes. Transe puissante et pourtant délicate de Wayo Mamman. Ça y est, son esprit s’extirpe de son enveloppe corporelle.
Soudain, l’unique cellule grise de veille tire la sonnette d’alarme. Son patronyme a été prononcé à voix haute par Mère Dolorès de la Pénitence Eternelle, l’arrachant brutalement à ses rêveries créoles.
Hein ? Heu…Merdemerdemerdemerde
Oui ? Mhhh… oui, pourquoi pas ? Au lourd silence gêné émanant de ses collègues et au regard foudroyant de Madame la Sous-Directrice du Sévice, Monsieur Mercier comprend que ce n’est pas encore cette année que sa Note Administrative augmentera.